Cette interview est tirée de l’intervention de Johan Soudeer, Chef de service Projet et Applications pour la ville de Colombes, et de Sofiane Lounici lors d’un atelier du coTer numérique. Intervention animée par Lucile Delaigue et propos retranscrits par Aloïce Triviaux-Frenet.
En 2023, la ville de Colombes s'est équipée de Manty Décision, lançant ainsi un projet d'informatique décisionnelle. Cet atelier a permis de présenter ce projet, et notamment sa mise en place technique. M.Soudeer, accompagné de Sofiane Lounici, Ingénieur déploiement chez Manty ayant travaillé avec la collectivité, a abordé plusieurs aspects clés du projet, tels que le développement de connecteurs, la fiabilisation des données ou le processus d’installation.
Lucile Delaigue : Sofiane, vous êtes ingénieur déploiement chez Manty et avez accompagné la collectivité dans la mise en place, pouvez-vous nous présenter le projet et ses grandes étapes ?
Sofiane Lounici : La ville de Colombes disposait de données RH, Finances, mais également relatives aux périmètres Population et Enfance, qu’elle souhaitait récupérer et structurer. L'objectif étant ensuite de construire des tableaux de bord et indicateurs pour les visualiser plus facilement.
La première phase du projet consistait à récupérer les données. Nous nous sommes donc accordés avec la commune afin qu’elle nous fournisse des sauvegardes de ses bases de données, que nous avons ensuite exploitées.
Puis, nous avons utilisé notre connaissance métier sur ces différents périmètres afin de structurer ces données et les stocker dans notre entrepôt de données. La troisième phase correspond à la conception, c’est-à-dire la construction des tableaux de bord dans Manty Décision avec les chefs de projet.
Lucile Delaigue : M.Soudeer, quels étaient les enjeux de Colombes dans le projet ?
Johan Soudeer : Je peux démarrer en fournissant un peu de contexte. Je connais Manty depuis plusieurs années. En effet, bien que nous n’ayons pas acquis le logiciel, j'avais assisté à une démonstration de l’outil à la mairie de Saint-Germain-en-Laye en 2018, alors qu’il venait tout juste d’être lancé.
Lorsque je suis arrivé à la ville de Colombe il y a un an et demi, l'une de mes premières missions a été d'explorer les options en matière d'outils de Business Intelligence (BI), car la direction des ressources humaines avait des besoins. La collectivité se dirigeait au départ vers DigDash, une solution vraiment très complète, mais qui est aussi un bac à sable vide, dans lequel il faut tout faire soi-même. Nous n’avions pas les moyens humains de mettre ça en place et nous avons donc proposé de les mettre en concurrence avec d'autres solutions, dont Manty qui a finalement remporté le projet. Durant la présentation, ils nous ont montré la facilité avec laquelle il est possible de créer des tableaux de bord interactifs en quelques clics. Il existe également sur la plateforme des tableaux “clés en main” : très pratiques en cas de manque d'inspiration, ces tableaux de bord et indicateurs à disposition peuvent aussi être personnalisés.
Nous avions des enjeux métiers sur nos trois périmètres :
- Du côté des ressources humaines, notre priorité était d'arrêter d'utiliser la solution de BI fournie par notre SIRH, qui était défaillante et ne pouvait pas traiter plus de trois mois de données sans que l'outil plante. Il était impératif de se doter d'un outil plus musclé.
- Le service enfance avait quant à lui besoin de données pour pouvoir gérer, entre autres, les relations avec la CAF qui est un partenaire essentiel. De la même manière que le SIRH, l’outil pouvait s’arrêter si nous demandions trop d'informations.
- Enfin, le département des finances souhaitait mettre en place un service contrôle de gestion. Dans ce cadre-là, nous souhaitions les aider en préparant un entrepôt de données qu'ils pourraient par la suite manipuler.
Lucile Delaigue : Sofiane, quelles spécificités techniques ce projet avait-il pour Manty ?
Sofiane : La première spécificité était de travailler sur des volumes de données assez importants sur les trois périmètres (Finances, RH et Population). Comme je l’ai mentionné un peu plus tôt, Manty récupère une sauvegarde de la base de données, et nous devions nous assurer que la gestion de ce volume de données ne pénaliserait pas les autres collectivités avec lesquelles nous travaillons. Conjointement avec M.Soudeer, nous avons donc mené un travail de réduction de la taille du dump afin que la sauvegarde soit assez légère pour que nous puissions extraire les données quotidiennement.
La deuxième spécificité de ce projet résidait dans le fait qu'il s'agissait de notre première expérience de travail avec des sauvegardes pour le logiciel Concerto. Habituellement, nous travaillons à partir d’une connexion directe à la base de données. Dans ce cas-ci, nous avons dû reconstruire la base de données pour lancer l'extraction et donc adapter notre système d'extraction. Cela s'est finalement bien déroulé et les données ont été correctement extraites.
Le troisième point, c'est l'automatisation. Pour que les données soient mises à jour régulièrement, il a donc fallu avoir des sauvegardes de manière régulière, quotidienne. L’automatisation a été assez rapide pour les données financières et RH, et ont suivi quelques semaines plus tard, les données du périmètre population. Aujourd'hui les extractions tournent quotidiennement.
Lucile Delaigue : quelles spécificités d’un point de vue technique côté Colombes ?
Johan Soudeer : Actuellement, les autres solutions de BI nécessitent de revoir nos schémas de données [requêtes] en cas de changement d'infrastructure des logiciels métiers. Or, les services RH ont une réforme règlementaire environ tous les six mois, occasionnant des changement sur la base du SIRH, impliquant de devoir revoir régulièrement ces requêtes. Cela n’aurait pas été viable pour nous. L’avantage de travailler avec Manty, c’est qu’ils mettent à jour leurs connecteurs à chaque changement dans une base de données d’un logiciel métier, ce qui n’implique pas de modifier les requêtes de notre côté.
Par contre j'ai le réflexe de dire qu’il n'y a qu'à envoyer les données alors qu’en réalité non, ce n’est pas si simple que ça. Nous avons dû mettre en place un processus d'envoi de nuit des informations. L'avantage, c'est que nos trois bases étaient chez Oracle, et nous avions déjà un datapump nocturne. Après avoir reçu des devis élevés de la part de nos prestataires, nous avons créé un script initial, qui a ensuite été enrichi. Enfin, nous avons mis en place un système de compression de mot de passe nocturne et un envoi sur un serveur SFTP. Le système est en place depuis deux mois. Un petit bonus est que cela nous permet aussi d'avoir une sauvegarde de trois bases chez OVH. C'était vraiment important pour le projet de pouvoir automatiser cet envoi. C'est un travail qui a été dense et assez compliqué.
Pour nous, le sujet était également de nettoyer nos bases. Historiquement, il y avait encore des pièces jointes dans nos bases de données, et nos bases compressées étaient très lourdes. Nous avons réussi à réduire cette taille en choisissant les tables à extraire, mais la gestion de ces volumes de données demeure un défi majeur pour Manty. Même compressés, nous sommes quand même sur des bases de 20 gigas. Nous avons plus de 15 ans d’historique donc c’est une volumétrie importante à traiter.
Lucile Delaigue : M.Soudeer, où en est le projet aujourd’hui ?
Les données RH et financières sont disponibles depuis 3 mois. Actuellement, nous avons vraiment bien avancé sur les tableaux de bord destinés aux directeurs et chefs de service. L'avantage étant que Manty a déjà des tableaux types avec des indicateurs relatifs aux engagements non soldés, factures en retard pour le côté financier et le nombre d'arrêts maladie, etc., pour la partie RH.
À ce sujet, lorsque l’on se lance dans un projet comme celui-ci, la question du RGPD se pose. Nous avons donc fait une demande auprès de la CNIL pour leur annoncer que nous allions traiter des données nominatives pour les logiciels RH et enfance. Sans ces données-là, il y aurait eu moins de valeur pour les services.
Nous sommes également en train de finaliser des tableaux de bord pour les directions qui auront vocation à être partagés en 2024. Lorsque la direction financière aura bien avancé sur ces recrutements, nous leur fournirons des accès aux éléments financiers. Le périmètre enfance avance très bien et nous espérons qu'ils puissent travailler avec la CAF, et d'autres prestataires pour le côté subventions, courant 2024. C’est très important d’avoir un référent moteur, comme un directeur par exemple, pour faire avancer le projet.
Lucile Delaigue : Effectivement il y a une culture de gestion à infuser dans les services. Du coup, quelle est la suite du projet côté déploiement, utilisation et possiblement d’autres jeux de données ?
Johan Soudeer : J’anticipe la question habituelle du coût financier. Nous sommes sur un système de licence non pas par utilisateur, mais par application, ce qui est très avantageux ! Ce qui est important pour nous qui sommes une assez grosse collectivité, c'est qu'on paie un billet de 10 ou 15 000 euros par application pour le connecteur et il y a l'entretien qui est fait chaque année là-dessus. Mais à côté de cela, après que l'on ait 5, 10 ou 500 utilisateurs, il n’y a pas de différence. Donc c'est vraiment aussi ce qui nous a fait basculer vers Manty parce que d'autres applications proposaient une facturation par utilisateur. Là, l'avantage c'est que nous allons d'abord essayer de l'étendre aux directeurs, puis potentiellement aux chefs de service.
Par la suite, nous allons réfléchir à rajouter Atal, notre outil CTM plutôt moyens techniques. En parallèle de cela, nous pourrions nous doter du connecteur Excel pour pouvoir traiter des documents relativement petits qui seraient purement sur Excel, ou alors servirait à rajouter une surcouche analytique. Ainsi, si les outils finances et RH ne sont pas assez précis dans leur répartition, nous pouvons traiter un fichier sur Excel en ajoutant des clés analytiques.
Lucile Delaigue : Manty travaille uniquement avec des acteurs publics et une grande majorité de collectivités territoriales dont les logiques métier sont assez similaires. Malgré le fait que chaque collectivité ait ses propres enjeux, cet entrepôt de données structuré répond à des règles métier et il permet une mise en place assez rapide de la plateforme. M.Soudeer, qu’allez-vous retenir de votre expérience sur ce projet ?
Je dirais que l’aspect le plus délicat, celui auquel je n’avais pas du tout pensé a été l’alimentation en données. Il y a un travail à faire et du temps à allouer du côté de la DSI comme du côté métier. C’est à prendre en compte quand on se lance dans un projet décisionnel.
Sinon, comme c’est un outil qui propose des tableaux de bord par défaut, quasiment clés en main, il faut que l'on ait bien alimenté nos applications. Et c'est là où, entre autres, le service enfance s'est rendu compte que sa saisie n’était pas uniforme. En effet, c’est intéressant d’avoir la géolocalisation de tous les habitants par coefficient familial, mais il manquait l'adresse de certaines personnes. Donc les tableaux permettent aussi de faire un travail de traitement et d'amélioration des données. Manty fourni d’ailleurs des tableaux de bord modèles spécifiquement orientés audit qualité de la donnée, pour repérer les erreurs de saisie dans les applications ou les contradictions. C'est vraiment un point passionnant sur lequel nous allons essayer d'avancer !
Ce qui a été essentiel c’est la rapidité et la réactivité des équipes. Nous avons pu récupérer les tableaux de bord par défaut une semaine après avoir envoyé les bases.
Par contre, encore une fois les données mal renseignées nous ralentissent. Nous avons eu le cas pour les ressources humaines où un directeur n'est par exemple pas renseigné dans un service au sein du SIRH. Donc, lorsqu’on regarde la liste des agents d'une direction dans Manty, celui-ci n'apparaît pas. C'est ce type de subtilité qui amène un gros travail de remise en question en interne sur notre façon d'alimenter nos applications.
En travaillant avec Manty, tout cela devient plus simple… On améliore l’entrée de données, les indicateurs s’affinent et cela motive les agents à mieux saisir dans le logiciel source.